Quel lâche !
Parce que dans les périodes où le malheur et la peine hantent une maison, c’est souvent l’heure des comptes, des aveux, des révélations en tout genre.
Mon père, passif apathique, dominé par des images qu’il n’arrive pas à effacer de sa mémoire, un brin dépressif et aboulique, se souvient des derniers instants au côté de sa mère, quand, dans sa chambre d'hôpital, il se rendit compte qu’elle avait quitté la Terre. Pour de bon. Déjà 4 ans, jour pour jour, et son beau-père fait de même. Alors son deuil pathologique refait surface et il ose me faire part de quelques confidences, ce qui ne le caractérise pas.
Après avoir craqué, effondré de chagrins, ressassant indéfiniment les rapports fusionnels qu’il entretenait avec ma grand-mère, il évoque sans équivoque sa vision de son bonheur, de notre avenir.
Il part donc dans un grand laïus, parlant de mon jumeau, de sa petite amie, de leur vie de couple et de son envie de devenir rapidement grand-père, pour partager, faire son devoir de mémoire, pour avoir l’impression de laisser sur terre son patrimoine.
Il m’explique aussi que, bien que la situation de mon petit frère est plus problématique devant son manque réel de motivation à étudier, il est rassuré quant à ses capacités à réussir dans sa vie professionnelle et personnelle (le suçon qu’il arbore au dernier repas de famille et sa frénésie à ne pas dormir à la maison l’ont vite trahi).
Enfin arrive le dernier paragraphe de son discours, ce qu’il pense de moi. Je crois que c’est vraiment la première fois qu’il me parle franchement, sans détour. Sa fierté de me voir bientôt médecin, sa peur de me voir m’éloigner…
Mais, car il y a toujours un mais. Il se met à fantasmer sur ma vie amoureuse que je lui ai toujours cachée.
Il passe en revue mon absence de copine (ce qui l’étonne à 24 ans mais il trouve rapidement une justification devant mon emploi du temps surchargé), mon désir de quitter notre Ville pour rejoindre la région parisienne… et enfin mon séjour en Suède.
Il m’avoue qu’il ne m’avait jamais vu aussi heureux que lors de mon voyage en terres scandinaves. Il suppute que cela est lié à une fille, une blonde aux yeux bleus. Et il finit par un magistral : « Si ta vie te rend heureux avec une Suédoise, ne t’inquiète pas. Je serai heureux de vous rendre visite là-bas et d’admirer avec joie votre petit Sven »…
Je ne pipe mot, me pince les lèvres pour ne pas lui expliquer le pourquoi de mon mal-être. Mais je me ravise, encore une fois.
Je ne suis qu’un lâche et je viens de repousser à au moins trois ans l’occasion de tout lui avouer.