Ouilla !... Docteur
Ouilla !... Docteur
Un médecin au charbon, par Dr Jean Dautriat (1979)
Un moment de détente pour recommencer à lire. Un ouvrage mémoire de la part d’un médecin généraliste de ma région, qui dessine gentiment les traits de ces sympathiques patients et de leur accent à l’Aimé Jacquet de Sail-sous-Couzan (lire Couzéan).
Une façon pour lui de construire en avance son blog. En nous faisant part en 130 pages de ses joies et peines en tant que soigneur du village, confesseur des âmes minières, des femmes déçues par leurs amants, des jeunes pucelles qui tombent enceintes, le tout sur fond de patois local qui me fait rire (voire honte) au journal local mais dont les expressions restent touchantes et réveillent en moi le souvenir de mon enfance chez ma grand-mère...
Voici quelques expressions gaga :
avoir pris un mois de vacances tirant = d’une traite, sans interruption
beausseigne = notre peuchère méridional
entetation = entêtement + imagination
accumoncellement = télescopage entre accumulation et amoncellement
basu = abruti
passer derrière = réprimander
vogue = fête foraine
à barreau = à plat
marpillée = froissée, salie
broger = to brood ?!
une clanque = une bavarde
acheter = accoucher
catons = grumeaux
en abouchon = de face
inrésistable = irrésistible + insupportable
rafète = toux sèche / gargamelle = tous grasse
Quelques passages encore d’actualité même après 30 ans de médecine.
Les papiers (p. 115) en référence à ce billet de Grange Blanche
Justement, parlons-en des papiers, des certificats, des formalités administratives, des dossiers à remplir. La société croule sous les papiers. Une part de plus en plus importante du temps des médecins est dévorée par la rédaction de certificats. Il est pourtant au programme de tous les candidats aux élections de simplifier les formalités administratives.
Qui ne réclame un certificat ?
- Docteur, je voudrais un certificat comme quoi ...
- Docteur, j’aurais besoin d’un petit certificat...
- Docteur, il me faut un bon certificat...
Notez la nuance.
Le petit certificat ne constate pas un état de maladie, il confirme un état de bonne santé, il ouvre une porte et non un droit à de l’argent. Il est souvent demandé pour un enfant. Ce sont en général le père ou la mère qui vous demandent cela dans la rue ou à l’occasion d’une consultation pour eux. On répugne d’ailleurs à vous amener le sujet concerné. Il sera plus facile de ne pas demander d’honoraires puisqu’il n’y aura pas eu d’examen effectif ce jour-là. A la rigueur, il arrive qu’en empochant d’un geste rapide un petit certificat on vous demande du bout des lèvres :
- Je vous dois quelque chose ?
Mais jamais :
- Combien je vous dois, Docteur ?
Cela est réservé aux « bons » certificats.
Celui-ci affirme avec le plus détails possible un état de maladie, d’invalidité, d’incapacité permanente. Il débouche sur l’attribution d’une pension, d’un avantage, d’une exonération quelconque.
- Faites moi un bon certificat pour que je puisse toucher. Je vous paierai ce qu’il faudra.
- Faites moi un bon certificat d’aggravation, je touche pas assez.
On ne pense qu’à toucher...
L’invalidité (p. 118)
Combien gémissent, aspirant à l’invalidité !
- J’en peux plus, Docteur, mettez-moi à l’invalidité. Vous voyez bien comme je suis, même plus coté à l’Argus !
- Et vous croyez que les Assurances Sociales me la doivent pas, l’invalidité ? Ce serait bien la moindre des choses qu’elles me la payent, avec tout ce que j’ai versé, depuis le temps qu’on me retient.
On a versé, on doit toucher. Cela parait un juste retour des choses. C’est pourtant en totale contradiction avec le principe même de l’assurance. Mais allez l’expliquer !
Cependant, les papiers sont longs à venir. Il y a des démarches fastidieuses.
- Ah ! Vous savez, Docteur, ça commence à m’énerver toutes ces complications. Je vais aller trouver le médecin contrôleur et je lui dirai : « Ca suffit, toutes ces grimaces ! Je sais plus sur quel pied danser, vous voulez me la donner ou pas, mon invalidité ? C’est bien simple, ou bien vous me la mettez tout de suite ou bien je reprends le travail. »
Certains patients reviennent à la charge dix, vingt, cent fois. Tantôt on le prend bien, tantôt on est excédé. A la fin, ils découvrent leur jeu et vous déclarent en toute candeur avec un sourire de connivence :
- Allez, Doctour, tu me mets le validiti, je vais garder mes chèvres en Algérie et tu me vois plus di tout, je viens plus jami t’embeter, jami !
Ce serait l’invalidité à l’usure. A l’usure du médecin !
Edit : Apparemment, c'est même devenu un spectacle. A ne pas rater à mon humble avis.