Bad day
Je crois l’avoir déjà raconté, mais, parfois, sans s’en rendre compte, on induit, on déduit, on comprend l’incompréhensible, ressent l’inaccessible. Surtout quand on enchaîne une nouvelle gade avant un mariage entre amis.
Mon service, d’habitude léger, s’est durci depuis quinze jours : deux ados à gérer depuis leur chute. Tétraplégie, vessie neurologique, dérivation cutanée continente, crise anxieuse, agitation, dépression, fièvre sans raison : tous les sentiments adultes dans un corps meurtri fusent à mon entrée dans leurs chambres.
Des familles trop présentes pour des malades qui ne le sont pas assez.
Des pédés à profusion à soigner, dont les pathologies tournent autour de la prostate, des testicules, de bourses trop grosses, trop fripées, trop pendantes...
Des célébrités à sonder, et donc des ennuis en perspective. Les patrons et l’armada des conseils professoraux fusent sur mon portable-bip, au point de ne plus comprendre la prise en charge thérapeutique optimale. Pour le malade. Pour ma carrière.
Et depuis le début, ce sentiment, cette sensation, cette odeur....
Je l’ai sondé à 21H, son état était instable, il est décédé ce matin.
Un autre l’a suivi dans la journée, je m’y attendais, la famille déchirée par des querelles de succession n’a pu s’empêcher de se déchirer dans le couloir.
Et le troisième en début de soirée. De l’âge de mon père. J’ai mal géré son angoisse, sa douleur. J’ai mal géré sa fille, sa femme et ses deux fils. Je ne savais que dire, que faire. J’ai augmenté les doses de morphine. Sans succès.
Dans Grey’s Anatomy, le chiffre est de 7.
Moi, il restera bloqué à 3.
Etre interne en chirurgie, ce n’est pas être encore un chirurgien. C’est gérer ce que les vrais chirurgiens ne souhaitent plus faire.
Heureusement, il y a S et son poster.
Et Fred Belaubre dont la vie ressemble à la mienne. Le sport et le sourire en moins.