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De retour de Suède !
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23 février 2006

Hôpital : mystère de l’anatomie féminine

Rencontre avec Madame X, nonagénaire. Après deux jours passés aux urgences, étendue sur un brancard au matelas épuisé par des heures de bon et loyaux services, emmitouflée dans les draps jaunis de l’hôpital et la couverture bleue qui ne réchauffe plus assez quand on reste dans les courants d’air des couloirs de ce service bondé, elle est épuisée, lasse de vivre, proche de Dieu qu’elle implore de son chapelet raccommodé au travers de ses doigts déformés par l’âge…

Je rentre dans sa chambre, évalue les signes de gravité. L’hémodynamique est stable, l’examen neurologique est excellent. Pas de troubles cognitifs, pas d’altération de la vigilance ni de la mémoire… Et elle tente même un peu d’humour… malgré l’état déplorable de ses fonctions respiratoires : dyspnéique, polypnéique et hypoxique… Voici l’état même d’une senior qui a fumé toute sa vie, finalement bronchopathe, incapable de mobiliser toutes ses alvéoles pour irriguer correctement ses cellules en oxygène, substrat vital à sa survie.

L’interrogatoire est plaisant : elle m’explique parfaitement ses antécédents, connaît son traitement sur le bout des doigts et arrive à rendre clair l’anamnèse qui l’a conduit aux urgences. L’examen clinique est sans particularité, à l’exception de crépitants diffus dans les deux champs pulmonaires.

Je me lance dans la rédaction de mon observation avant de justifier au médecin mes prescriptions :
- examens paracliniques avec prélèvements sanguins à la recherche d’un syndrome inflammatoire, prélèvements bactériologiques (hémocultures, antigénémie, antigénurie) pour trouver le microbe responsable ; radiographie thoracique de face et de profil (les manipulateurs radio refusant de les faire en urgence...)
- quant au traitement, je poursuis le traitement débloquant par broncho-dilatateurs mais j’hésite sur l’antibiothérapie.

L’image à la RP est typique d’une pneumopathie franche lobaire aiguë. J’opte donc pour éradiquer un probable pneumocoque, à première vue sensible puisque Mme X n’a jamais séjourné dans un établissement de soins, ni n’a reçu récemment une antibiothérapie. Switch Augmentin-Ciflox par Clamoxyl seul… On verra bien le résultat…

Le lendemain, dès mon arrivée dans le service, je me fais littéralement alpagué par une des jeunes infirmières nouvellement diplômées. Elle souhaite que je justifie mes prescriptions, en particulier l’antigénurie pneumocoque – légionnella… « Pourquoi ? » lui réponds-je. Penaude, elle s’exclame : « Mme X refuse d’uriner sur le bassin et je n’arrive pas à la sonder…Je ne trouve pas le méat… ».

Surpris par une telle incompétence, je m’en vais fièrement, d’un pas sûr et altier, dans la chambre de cette sympathique patiente. Je me lave les mains, mets les gants stériles et me penche à la recherche du précieux canal. J’avais omis un détail important : Mme X était en fait célibataire et elle n’avait pas dû voir souvent autant de personnes s’affairer autour de son pubis sacré.

Le paysage est bizarre, lunaire, incompréhensible. Vulve et vagin sont atrophiés, les lèvres sont amincies, dépigmentées ; l’orifice vulvaire est rétréci. Malgré mes explications calmes sur le bien-fondé de cet examen, elle rouspète à mon introduction douce dans son intimité. Et je sue, je rougis de honte car je ne trouve pas aussi le méat urétral. Je tente un sondage à l’aveugle, pensant à une ectopie intra-vaginale, sans succès.

Enfin, je m’interroge. Pourquoi un tel examen ? A quoi me sert de savoir si c’est un pneumocoque ou un bacille gram-négatif ? Si j’étais à sa place, jambes écartées devant un étudiant, comment réagirais-je ? Comme elle, en fait, je refuserai que l’on me touche…

J’appelle l’interne, lui explique la situation. La courbe thermique de Mme X affiche 37,4°C depuis deux jours, ses leucocytes déclinent tout comme sa CRP. Sa dyspnée s’amenuise, sa RP est plus propre, son état s’améliore doucement sous Clamoxyl…

Finalement, je ne saurai jamais quel microbe l’avait contaminé. Le traitement initial a été efficace. La patiente retourne chez elle après 7 jours d’hospitalisation. J’ai reparlé avec elle de ce « viol », de l’atteinte de son intimité et de son intégrité corporelle. Elle a compris, elle sourit même, acceptant mes excuses devant ma maladresse…

J’ai appris ce jour-là que l’on ne soigne pas des examens bactério, ni une radio pulmonaire. On traite avant tout des patients avec leurs histoires, leurs héritages culturels et religieux, leurs craintes et leurs peurs… Et on accepte leur refus…

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Commentaires
E
Je vais faire tomber mon masque de gentil étudiant toujours à l'écoute de ses patients. J'ai mon caractère, mes troubles de l'humeur et parfois, voire souvent, je suis exécrable.<br /> Cette qualité d'écoute prévaut quand on a du temps à consacrer à ses malades. Mais lors d'une garde de 24H aux urgences bondées par des patients qui n'ont d'urgent que le fait d'être sortis de ce service aussi vite qu'ils y sont arrivés, il m'arrive de ne pas être empathique et d'envoyer paître les gens...<br /> La prochaine fois, j'essaierai de dépeindre un Esculape un peu moins humain car ce n'est vraiment pas toujours les jours le cas... Même si j'essaie de faire de mon mieux, mais la fatigue l'emporte souvent
M
très beau texte ! pareil que miss epice sur la qualité d'écoute et d'attention qui n'est pas toujours au rendez-vous à l'hopital !
E
Cool oui, sinon j'aurais dû détailler la technique de la pose... Elle avait une contre-indication en plus. Devine laquelle !<br /> On peut doser des antingènes dans tous les liquides biologiques mais je ne suis pas spécialiste. Demande à Grain deSel.
P
C'est kool de s'arrêter avant la pose d'un catheter sus-pubien.<br /> l'antigénurie...je savais même pas que ça existait.
E
Merci, je trouve aussi que j'arrive à mieux écrire... Ca veut dire que je viellis ???
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