Le Blues des Carabins
Avant le concours, deux reportages sur Canal Plus d’Harry Rozelmack et sur France 3 ont eu comme succès de me faire bondir de mon bureau, de me sortir de mes gonds livresques… Le "Blues des Carabins" qu’ils le nommaient, les Désirs d’une Génération choyée comme un coq en pâte, qui souhaite plus qu’elle ne produit…
Comment ont-ils le droit de s’exprimer ainsi ? Qui passe des nuits en garde payé moins qu’une aide soignante ? Qui travaille plus que l’étudiant lambda sans aucune reconnaissance que les cris d’un clochard mécontent lorsque l’on suture ses plaies du scalp, que les remontrances d’un octogénaire qui répète sans se lasser que "c’était mieux avant", que les plaintes d’un soixante-huitard qui ne comprend pas les bienfaits du tout chimique face à sa sacro-sainte homéopathie ?
Nos études sont longues, exigeantes, épuisantes et on étouffe vite sous le poids des connaissances, sous la tonne de papiers qui composent nos cours et nos livres…
Croyez vous que nous sommes contents de mettre plus de dix ans à finir un cursus alors que nos amis ingénieurs (mon frère a déjà travaillé dans plusieurs entreprises dans quatre villes différentes et deux pays), professeurs ou infirmiers mettent cinq à boucler avec un salaire que nous n’avons toujours pas ?
Alors j’en ai marre de lire ça et là et d’entendre à la télévision que nous sommes une génération pourrie qui ne fait que revendiquer. Oui, nous revendiquons le droit à exercer une médecine qui nous plait. Oui, on revendique le droit à un choix en accord avec nos désirs. Une médecine dans laquelle on pense avoir un rôle à jouer et pas seulement un pion sur l’échiquier politique.
J’envie les ingénieurs qui peuvent se former après leurs études, une profession qui peut changer de poste, de mission. Le problème de nos études reste le concours de l’Internat, qui subsiste seulement en France.
Qui est capable de choisir une spécialité à 25 ans après seulement trois ans d’externat, valdingué de service en service sans complètement y être immergé ? Qui ne souhaiterait pas comme dans toute entreprise - car l’hôpital, les cliniques, les offices libéraux sont une entreprise - un métier où l’on puisse évoluer, changer de facette selon les évènements de vie ?
Harry Rozelmack soulignait avec justesse que nous rechignions à la médecine générale, seule spécialité non enseignée en médecine. Nous boudons seulement une spécialité solitaire, où le médecin doit gérer, seul, entre autres, médecine sociale et administrative, diktat de sa clientèle et de la Sécurité Sociale, réformes non réfléchies du gouvernement… Qui souhaite ce genre de situation au sortir de ses études où l’on aspire enfin à un peu de repos, une vie calme où l’on peut retrouver les fondamentaux de la vie : profiter de chaque instant et ne pas se perdre dans les méandres de la profession à outrance. Echanger, partager… Ce qui semble être l’essence même du médecin. Car si vous souhaitez un médecin humain, qui puisse écouter et soigner avec empathie, il faut lui-même qu’il vive et qu’il ne coule pas vers les bas-fonds de sa misérable existence…